La pensée biologique trouve ses racines dans l’antiquité grecque et romaine d’où germèrent les prémices des idées développées encore aujourd’hui. Après la traversée du désert que représente le Moyen Âge, la pensée biologique a fait l’objet de réflexions passionnées dès la Renaissance mais elle s’est véritablement épanouie au cours des XVIIe et XIXe siècles. Loin d’être terminée, cette réflexion sur l’origine et l’évolution des êtres vivants se prolonge actuellement, enrichie qu’elle est de tous les progrès apportés par la biologie moléculaire ou le génie génétique. La grande question, qui a traversé les siècles, concerne le fixisme1 ou le transformisme des espèces. Il est arbitraire de séparer l’étude de l’une de l’autre, tant elles sont imbriquées. Parfois même, chez les plus farouches partisans d’une théorie, on peut trouver des arguments que ne renieraient certainement pas les partisans de l’autre. Pourtant par commodité elles seront étudiées successivement.
Le fixisme d’Aristote
Il est habituel de présenter l’origine du fixisme dans la pensée d’Aristote. Grand
admirateur des êtres vivants car « en toutes les parties de la nature, il y a des
merveilles », il met l’homme au-dessus de tout. Pour lui, c’est le seul être vivant qui
réaliserait toutes les intentions de la nature. Les animaux et les végétaux ne seraient,
alors, que des ensembles inachevés, incomplets. De ces observations, il soutenait
l’immobilité des êtres vivants, d’où le nom de fixisme donné à sa théorie. Ces notions
furent développées par Galien (131-201 après J.-C.) qui était persuadé que la structure
de chaque animal, de chaque plante portait la marque d’un être suprême doué d’une
intelligence et d’une sagesse surnaturelles. Pour Galien, cet être est Dieu, d’où le
nom de déisme donné à sa pensée. Rien d’étonnant que durant des siècles, l’Église
ait fait de Galien un pilier de sa doctrine. Pourtant Galien s’oppose à la genèse biblique
de la vie qui consiste en la création d’un être vivant à partir de matière morte. Pour
lui, tous les êtres proviennent de germes vivants qui ont grandi (théorie de l’épigenèse).
Il serait faux de croire qu’Aristote ainsi que Galien aient pu penser que les êtres
vivants fussent toujours immuables. Ainsi quand le premier affirmait que les organismes
faibles disparaissaient, il s’agissait d’une assertion qui rappelle la sélection naturelle
que Darwin postulera plus de 2 000 ans plus tard.
Cette théorie du fixisme a trouvé, plusieurs siècles après, son plus célèbre
représentant en Linné (1707-1778) pour qui « il y a autant d’espèces diverses que de
formes diverses, crées au commencement, par l’être infini » (Species tot sunt diverseae
quot diverseas formas ab initio creavit infinitum ens), pourtant il dit aussi « (qu’il) a
longtemps nourri le soupçon, (qu’il) n’ose présenter comme hypothèse, que toutes
les espèces d’un même genre n’ont constitué à l’origine qu’une même espèce qui s’est diversifiée par voie d’hybridation ». Il ouvrait une petite porte au transformisme,
comme l’avaient déjà fait avant lui, Léonard de Vinci ou Bernard de Palissy.
Le transformisme de Lamarck et de Darwin
Avec Linné, on se trouve déjà dans le XVIIIe
siècle qui voit l’abandon progressif du
fixisme au profit du transformisme. C’est dans l’observation du monde animal que
les différents auteurs tireront le plus souvent leurs exemples. C’est à Lamarck
(1744-1829) que l’on doit la première théorie du transformisme. Elle est basée sur
deux mécanismes très précis.
1. L’emploi d’un organe chez un animal le développe ; son défaut d’utilisation au
contraire l’affaiblit, voire le supprime.
2. Les changements acquis par le corps des êtres vivants peuvent se transmettre à
leur descendance : il s’agit de la loi de l’hérédité des caractères acquis.
Le lamarckisme
À l’appui de sa théorie, Lamarck apportait un certain nombre d’arguments qui
pouvaient et peuvent emporter, encore, l’adhésion de profanes. La girafe, par
exemple, vit dans des milieux arides, sans herbage, ce qui l’oblige à brouter le
feuillage des arbres. Il en serait résulté pour Lamarck, un allongement des pattes
mais aussi du cou. À l’inverse, la taupe vivant dans le sol, donc à l’obscurité n’a
pas besoin d’yeux pour y voir. Tout naturellement ils s’atrophient.
Bien évidemment, une telle théorie ne pouvait que susciter des controverses. Ce
fut le cas de Cuvier (1769-1832), fondateur de la paléontologie et de l’anatomie
comparée, et en même temps le plus célèbre représentant du fixisme avec Linné. Il
comparaît le transformisme de Lamarck à « des palais enchantés de vieux romans ».
En 1859, soit juste 50 ans après la publication de la théorie de Lamarck, paraissait
l’Origine des Espèces de Charles Darwin (1809-1882). Ce livre devait imposer le
darwinisme parmi les scientifiques mais aussi dans l’opinion publique mondiale.
Pour Darwin, les populations naturelles qu’elles soient animales ou végétales, se
transforment. Ces transformations s’effectuent sous l’action de la sélection naturelle.
Cette théorie de la lutte pour l’existence (évolutionnisme), impose qu’en un lieu
donné, seul l’individu le mieux adapté puisse survivre. La sélection naturelle au sein
d’une même espèce ou entre des espèces différentes est seule responsable de toutes
les adaptations naturelles.
Le darwinisme fut amendé plusieurs fois. Ainsi, dès le tout début du XXe
siècle,
Auguste Weismann (1834-1914) signe l’acte de naissance du néo-darwinisme en
s’attaquant à l’hérédité de l’acquis, puis il fut modifié une seconde fois à partir de
1950, particulièrement après la découverte de la structure de l’acide désoxyribonucléique (ADN) par les Américains Watson et Crick. Ceci a permis l’émergence de
la théorie synthétique de l’évolution. L’évolution y est décrite comme un processus
lent et graduel d’accumulation de petites modifications génétiques, conduisant à
l’apparition d’espèces nouvelles, uniquement sous le contrôle exercé par la sélection
naturelle.
La théorie synthétique, avec son principe de mutation-sélection, est devenue la
position dominante de la communauté scientifique internationale. Aujourd’hui, l’évolution n’est plus envisagée comme la transformation d’individus isolés mais comme
celle de groupements d’individus de même espèce, c’est-à-dire des populations.
Mais le principe de base est le même : elle explique l’évolution par l’action de la
sélection naturelle sur des populations.
Elle peut être résumée par trois idées essentielles :
1. l’évolution est le fruit d’une modification progressive et continue des êtres vivants
au cours des générations ;
2. la reproduction implique une hérédité : le matériel héréditaire (les gènes) subit,
au niveau moléculaire, des modifications par mutations, aboutissant ainsi à une
grande diversité ;
3. le mécanisme central est la sélection naturelle qui opère au niveau des populations
en sélectionnant les individus les mieux adaptés à leur environnement.
Une population évolue quand la fréquence d’un gène (ou plusieurs gènes) change.
Des caractères ayant acquis une valeur adaptative nouvelle généralement en raison
de changements du milieu, se répandent chez certaines espèces. Les individus porteurs
de ces caractères sont favorisés dans le nouveau milieu ; ils constituent alors rapidement
une grande partie de la population ou même toute la population de l’espèce. Les
caractères qui se répandent correspondent à des allèles existant auparavant « silencieusement » au sein de l’espèce. Lorsque l’ensemble des individus qui constituent
une espèce forme plusieurs populations isolées, chacune de ces populations peut
acquérir des caractères particuliers et donner naissance à des variétés différentes au sein
de la même espèce. Si ces variations sont, par la suite, dans l’impossibilité de se croiser,
elles divergent de plus en plus et finalement sont inter-stériles : elles constituent alors
des espèces distinctes.
Cette théorie synthétique de l’évolution s’est imposée progressivement, malgré
quelques combats d’arrière-garde jusqu’aux environs des années 1960 en France.
Elle permet de comprendre la microévolution, comme l’apparition d’une espèce
nouvelle, dans un milieu naturel. L’expérimentation permet, en effet, de créer des
espèces nouvelles en suivant, pas à pas, les mécanismes présentés par Darwin. Mais,
elle est moins à l’aise pour expliquer la macroévolution comme le passage de la vie
aquatique à la vie terrestre, l’apparition des Gymnospermes, des Angiospermes, etc.
Les exemples manquent et l’expérimentation est impossible. Malgré ce handicap, le
darwinisme reste à ce jour, la théorie de l’évolution, permettant de comprendre le
mieux la diversité des espèces animales et végétales sur la Terre. L’homme utilise
à son profit les mécanismes décrits par Darwin pour créer de nouvelles espèces
végétales. Des exemples seront présentés et détaillés dans le chapitre 9 intitulé
« L’homme et les plantes ».